Gustave Flaubert : faux classique, vrai baroque ? 1
- christophe lartas
- 11 févr.
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Dernière mise à jour : il y a 8 heures
Littérature (Gustave Flaubert) 8 Gustave Flaubert : faux classique, vrai baroque ? 1

Gustave Flaubert : faux classique, vrai baroque ? 1 Littérature (Gustave Flaubert) 8
Il est de bon ton depuis longtemps — disons depuis le siècle du Roi-Soleil et son classicisme corseté, contraint, doublé d’une écœurante courtisanerie qui ne l’était pas moins —, en France, de porter au pinacle tout auteur se rattachant à l’équilibre et à l’harmonie apollinienne des classiques, et de laisser dans l’ombre (voire vouer aux gémonies de l’histoire, sauf rares exceptions du type Agrippa d’Aubigné, Lautréamont ou Artaud, par exemple) les écrivains qui s’apparentent au courant baroque, non moins ancien et profond que celui du classique. Au surplus, tout auteur ayant l’heur d’agréer aux cercles littéraires parisiens, au fil des époques, fut souvent classifié de façon peu ou prou artificieuse, après sa mort et les années passant, au sein d’une sorte d’éternel et inamovible classicisme « à la française », bien que ni la forme, ni le fond, des œuvres, en somme, n’inclinaient à cela (Balzac, Chateaubriand, Zola, Baudelaire, entre autres).
Mais le cas Flaubert est sans doute le plus intéressant en ce sens qu’il démontre comment un immense créateur qui, par nature, était destiné à devenir un auteur parfaitement baroque, baroque jusqu’au bout des ongles, je dirais même, put finalement être considéré comme un parfait classique — voire « le » classique de la littérature française — en faisant sciemment l’omission sur deux faits essentiels : Madame Bovary, ce livre d’une grande beauté formelle qui fit assez vite pencher tout un pan de la littérature française vers un formalisme maniaque où, au fil du temps, le fond n’eut même plus la moindre importance (voir l’insipide école du « Nouveau Roman », triomphe éphémère, et poussé à l’absurde, du formalisme français), ne fut finalement conçu, puis écrit laborieusement, que parce que Gustave Flaubert, à la suite de sa lecture de sa première version de La Tentation de saint Antoine à ses amis proches qui ne manquèrent pas de critiquer férocement le livre et de lui conseiller d’aller vers tout autre chose, subit en conséquence une sorte d’effondrement psychique qui lui fit sans doute remettre totalement en question son ambition d’être un « grand écrivain ».
De fait, parce qu’en cet âge d’argent de la littérature française il était exclu qu’un écrivain ne visât pas au moins à une sorte de gloire, fût-elle modeste, et, de toute façon, à une reconnaissance à peu près générale de son talent d’homme de lettres, je pense que le jeune Flaubert, ébranlé et abattu par les remarques de ses camarades, décida d’obéir à leurs injonctions malvenues (selon mon point de vue) en sacrifiant, du moins pour un temps, son véritable tempérament d’écrivain au profit d’un « pensum » (c’est lui-même qui le dit) qui lui vrilla les nerfs et le cerveau, même si, tout compte fait, eu égard à son idiosyncrasie singulière d’« allumé », il put y mettre beaucoup de lui-même au final. Mais, tout de même, si ce roman, à cause d’un parfait malentendu (le « scandale ») lui apporta une sorte de gloire inattendue et précoce qui, par la suite, ne devait plus jamais se démentir, et l’intronisa presque dans l’instant comme un « classique vivant » auprès de ses confrères, je ne saurais le considérer, comme nombre d’auteurs français ou étrangers, comme le chef-d’œuvre absolu de Flaubert.
J’admets, certes, que Madame Bovary est un chef-d’œuvre, quoique passablement ennuyeux dans l’ensemble, mais il ne représente, en allant au fond des choses, que la facette du Flaubert qui voulait « réussir » à briller en public, et, surtout, ne pas être condamné à l’obscurité du fait d’une œuvre allant à rebours de l’époque (puisque sa première Tentation de saint Antoine, par certains aspects, eût été, justement, le À rebours de Huysmans avant l’heure, si Flaubert avait persisté dans son choix et pu publier le livre tel quel). J’affirme donc que le véritable Flaubert n’est pas celui de Madame Bovary, tour de force avant tout formaliste et stylistique (du « Balzac chateaubrianisé », comme il le redoutait à juste titre), pas plus que celui celui d’Un Coeur simple (qu’il écrivit, au vrai, par admiration et amitié pour Georges Sand), mais bien le Gustave Flaubert de La Tentation de saint Antoine, de Salammbô, de Hérodias, de La Légende de saint Julien l’Hospitalier, et, pour finir, celui de L’Éducation sentimentale, livre qui, comme La Tentation de saint Antoine, l’accompagna tout le long de sa vie sous différents avatars. Partant de là, si je peux considérer L’Éducation sentimentale (que je considère comme son véritable chef-d’œuvre « réaliste ») comme faisant réellement partie de son essence d’écrivain, il se trouve que là où Flaubert s’épanouit avec le plus de de puissance poétique et de joie créatrice dans l’écriture, c’est bien dans ces quatre textes susnommés qui sont de parfaits chefs-d’œuvre de la littérature baroque française, chacun dans son genre.
(08 novembre 2024)