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Presse (sélection)

Planète des ombres (Patryck Ficini, Sueurs Froides, 2014)

 

« Des Titans sont descendus des étoiles. (…) Dans leurs mains acajou aux griffes couleur safran ils nous cueillent par grappes et nous mastiquent vivants. Après quoi ils recrachent des glaviots de cadavres dans l’azur ; urinent des torrents acides puant l’ammoniaque qui rongent notre peau et nos yeux ; expulsent des monticules de fèces saturées de déchets azotés qui nous font défaillir ou rendre tripes et boyaux. » (p. 7)
 

Christophe Lartas est un auteur unique dans le domaine du fantastique horrifique. Quoique influencée par Lovecraft et peut-être par les Chants de Maldoror de Lautréamont, sa prose, délirante, hallucinée et hallucinogène, parfois politisée, n’est guère comparable à une autre.
 

Planète des ombres (éditions de l’Abat-Jour) décrit la fin du monde. Des sortes de Grands Anciens lovecraftiens sèment le chaos et la terreur pure sur la terre des hommes qui, totalement impuissants, n’ont d’autre choix que souffrir, parfois collaborer (c’est le choix des lâches élites qui les gouvernent) et, enfin, périr dans le meilleur des cas.
 

La première partie de ce roman qui en compte trois, intitulée L’extermination de l’Homo sapiens sapiens, est incroyable pour qui ne connaît pas l’univers maléfique de Christophe Lartas. Les autres se souviendront de Satanachias et Saturne, deux de ses œuvres précédentes. Lartas s’y livre une nouvelle fois à la description complaisante mais parfois d’une folle poésie noire, d’une apocalypse d’une brutalité inouïe.
 

Seul Lovecraft aurait pu la rêver. Lartas l’accomplit. D’une façon sans doute inégalable.
 

Ensuite, dans Ombre et poussière, Lartas évoque les regrets des hommes, leurs rêves passés réduits à néant par la mort et la désolation. L’auteur abandonne ici l’ultra violence pour des pages plus posées et d’une beauté franchement amère.
 

Avec la troisième partie (sobrement titrée La Mort), Lartas nous apporte encore d’autres émotions, avec la même maestria. Cependant nous n’en révélerons pas la teneur ici afin de ne pas la déflorer. Ce serait vraiment dommage.
 

Au final, Planète des ombres est indispensable pour qui ne connaît pas l’œuvre assez révolutionnaire de Christophe Lartas. Un peu moins surprenante pour ceux qui ont déjà cette chance, sa lecture n’en demeure pas moins précieuse pour qui apprécie les lectures non conformistes.
 

A condition aussi d’avoir le cœur bien accroché face au sadisme certes souvent surréaliste de certains passages.
 

L’enfer sur terre a un nom : Christophe Lartas.
 

Son style est différent, ses univers totalement troublants et déstabilisants. Impossible de l’oublier.

"Traversées", collage de Nathalie Géraux, 2024

Saturne (Patryck Ficini, Sueurs froides, 2014)

 

De Christophe Lartas, nous avions déjà eu l’occasion d’apprécier, à la Clef d’Argent, les recueils HPL Bloc d’éternité, aux poésies cthulhiennes, et Satanachias, 4 nouvelles proches ce que l’on peut imaginer de pire en matière de fin du monde. Les points communs de ces textes intensément poétiques, d’une noirceur absolue, sautaient aux yeux du lecteur qui ne pouvait manquer d’y reconnaître, au-delà de ses inévitables influences, la patte d’un véritable auteur.
 

Les Éditions de l’Abat-Jour rééditent aujourd’hui Saturne, que nous avions raté lors de sa parution à la Clef d’Argent, dans une version « revue et corrigée ». S’y ajoute l’étonnant Précis de bile noire ; un récit inracontable aussi sombre mais plus difficile à saisir, à comprendre, tant et si bien que nombre de lecteurs décrocheront sans doute à sa lecture. La plume est toujours belle, mais encore plus originale peut-être.
 

Nous avouons pour notre part avoir largement préféré Saturne avec son monstre, sa créature misanthrope qui massacre et viole l’humanité toute entière. Porteur d’apocalypse, d’une violence inouïe, Saturne est un être comme on en voit peu, sans pitié, haïssant et sans doute haïssable. Un véritable condensé d’une haine de l’humanité qui fait froid dans le dos.
 

Il y a du Lautréamont et du Lovecraft chez Christophe Lartas, du surréalisme aussi. On a rarement lu ça en tout cas, car l’auteur a su se trouver par-delà la formidable source d’inspiration fournie par ses maîtres. La quatrième de couverture parle aussi de Poe et de Kafka. Pourquoi pas ?
 

Saturne est d’une violence gore assez incroyable. Un gore évidemment différent de celui, plus populaire sans doute, que l’on pratiquait généralement au Fleuve Noir, à la grande époque. On a réellement l’impression, et c’est peu fréquent, que les ténèbres se sont abattues sur l’auteur lorsqu’il écrivait ces pages (apparemment sur plusieurs années). On pense à du Black Métal littéraire, même si on ne sait pas si la comparaison serait du goût de Lartas. C’est beau et sombre à la fois, et l’on ne doute pas qu’il s’agit là d’une expérience très personnelle et très intime pour l’auteur.
 

L’écriture de Christophe Lartas est totalement anti-commerciale. Il faut réellement faire un effort pour lire sa prose hallucinée et délirante ; un effort récompensé par la qualité écrasante de l’œuvre. Nous avons en tout cas adoré Saturne. Si l’on veut bien le considérer comme de l’horreur, c’est un récit d’horreur unique. Nous l’avouons volontiers, nous sommes en revanche passés à côté de Précis de bile noire, la première partie du recueil, peut-être trop « autre » pour nous. Peu importe, l’expérience en vaut la chandelle, si l’on peut dire.

Satanachias & autres contes (Patryck Ficini, Sueurs Froides, 2010)


 

Satanachias est un recueil de 4 nouvelles signées Christophe Lartas, déjà connu des fidèles de La Clef d’Argent pour Saturne.
 

On pense à Lovecraft à la lecture de ce petit livre, pour le style (toutes ces phrases très longues mais souvent d’une poésie ténébreuse) comme pour l’inspiration. Tour à tour le Lovecraft qui imitait avec talent Lord Dunsany (Marssygnac) mais surtout le Lovecraft misanthrope, plein de haine à l’égard de l’humanité et de la société actuelle.
 

Christophe Lartas s’est littéralement déchaîné dans la description d’un monde en pleine déliquescence, en proie à la pollution et à toutes les perversités. Megalopolis est un formidable tableau de notre monde, à peine fantasmé, tel qu’il sera ou tel qu’il est peut-être déjà. Un monde qui ne peut qu’agoniser, bouffi de crasse et de pourriture. Un royaume du Mal où des Grands Anciens tout droit sortis du Mythe de Cthulhu ne peuvent que régner.
 

Satanachias, qui ouvre le recueil, narre la quête d’un homme à la recherche du diable, pas aussi mauvais qu’on le dit, puis de Dieu. Un dieu maléfique qui a l’apparence d’une mygale mutante et monstrueuse.
 

« Ainsi c’est toi qui a créé cette saleté d’Univers ! cette saleté d’espèce humaine ! Toi qui a créé la vie et la mort – et l’immonde toute puissance de la vie et du Mal ! » (P.24)
 

Christophe Lartas propose une vision de la divinité audacieuse, négative, d’une extrême noirceur. Une vision que n’aurait pas reniée Lovecraft.
 

Lartas, l’écrivain, semble haïr la décadence d’une humanité répugnante, vouée à sa propre perte. Ses mots sont souvent d’une grande force pour dépeindre un monde pourri de l’intérieur, pour lequel il n’est d’autre destin que la fin absolue, l’apocalypse la plus terrifiante.
 

Le Cycle décrit magistralement cette fin du monde, une révolte de la nature comme on en a rarement vu, profondément horrifique. Les textes très denses de Lartas ont plus de puissance que bien des romans sur le même thème pourraient en rêver.
 

« Nos yeux coulaient hors de nos orbites comme des œufs crus, nos dents giclaient hors de nos gencives comme des grains de pop-corn. Les nuages se liquéfiaient sur nos crânes tels des ruisseaux de pus… » (P. 31)
Satanachias, ou l’enfer sur terre. Un enfer créé par l’homme.

Planète des ombres (Barbazanges, Babelio, 2023)


 

“Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on peut le reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui”. C'est la formule de Swift qui nous revient forcément quand on lit certaines réactions au livre-massue de Lartas. Christophe Lartas est-il un “vrai génie” ? En tout cas cela faisait bien longtemps que l'on n'avait pas vu une telle puissance littéraire émerger dans un paysage écrasé par le galimatias grasseyant de Galligrasseuil, parmi les atermoiements pseudo-artistiques, les petites litanies des vicissitudes sociétales d'une civilisation repliée sur son parasitisme. Et que penser de la mode pas encore éteinte des feel good books ciblant comme une bonne lessive, un public féminin !
 

S'il y a un roman contemporain qui m'a marqué c'est celui-ci, moi, lecteur de classiques éprouvés, contempteur de l'absurdité de la production moderne. Un roman qui met notre peau sur la table, qui aborde l'essentiel. La preuve, près de trois ans après sa lecture, j'y repense encore, je n'en ai rien oublié. C'est un signe. Un autre, c'est que l'on en relit certains passages, par hasard, de temps en temps, pour eux-mêmes, pour le plaisir esthétique et le recommencement miraculeux d'une sidération précieuse. En tombant par hasard sur cette page, dans le grand maelström du numérique, j'ai eu un besoin irrépressible de l'évoquer pour essayer de lui rendre hommage. Livre pourtant ignoré de toutes les critiques. Grâces soient rendues à l'éditeur qui a su détecter cette parole parmi les autres, qui a reconnu l'innovation déjà devenue classique et qui est à la recherche d'une autre littérature. Apparemment pas de sensitivity reader sous la lumière crue de l'abat-jour et ça fait du bien.

Bref, Planètes des ombres est le feel bad book, normal qu'il heurte nos petites fiertés d'humanoïdes dégénérés. Il a pris tout naturellement sa place sur les rayonnages aux côtés des scripteurs de la vérité humaine. Sa puissance stylistique, celle de ses tableaux aux multiples cercles dantesques ne se raconte pas, ces tableaux ne peuvent que se lire et se vivre. Ces délires improbables de la torture humaine deviennent pourtant et malheureusement évidents et concrets au fil de la lecture. Ils nous rappellent inconsciemment ce que nous pouvons être, notre condition secrète. Il suffit d'aller jeter un coup d'oeil aux premières pages, en consultation sur le site de l'éditeur, pour s'en rendre compte. Et une fois que vous l'aurez lu, vous ressentirez probablement, vous aussi, le vertige de ce que nous sommes devenus : une errance démesurée sur une pauvre terre de souffrances ininterrompues, et à laquelle ne peut répondre qu'un châtiment, lui aussi tout aussi démesuré, apporté depuis l'autre bout de l'univers. Les titans insectoïdes de Christophe Lartas ne sont que l'écho cauchemardesque, le retour de l'onde de choc de notre propre cruauté, de notre propre monstruosité, la réponse inéluctable à la terrible et traditionnelle barbarie de l'Homme.

Il passe dans son livre les ombres de Kafka, de Lovecraft, de Sade, celle de Céline d'une certaine façon, avec son amertume inconsolable et burlesque. Une fantasy noire, perspective infinie de la douleur. Une synthèse cruelle avec les mots et la conscience de ce nouveau siècle, sous forme d'apologue : la destruction de notre propre planète et la perte sans retour de notre humanité ne peuvent plus être niées. La fin est, elle, beckettienne, des moments d'éternité dans un no man's land, qui rappellent parfois L'innommable. Voilà ce qu'il pourrait, peut être, demeurer de nous, nous sauver à l'aune de l'éternité. le seul espoir est peut être dans une stase épurée, un ascétisme, une modestie à jamais dérivante, pour retrouver un peu de notre originelle naïveté. Retour au flux primitif de la matière universelle. Un apaisement, enfin ?

Les Démoniaques (Valérie Rossignol, Quinzaines, 2019)

L’ouvrage est composé de trois parties : un Livre premier, intitulé « Chimères et cauchemars », un interlude : « Les Démoniaques » et un Livre second : « Chemins vers rien ». Le Livre premier et le Livre second contiennent des textes courts, qui se suffisent à eux-mêmes. Tout s’articule autour des « Démoniaques ». L’unité de l’œuvre tient au déploiement de forces destructrices qui prennent leur source dans le fantastique, la remise en cause de notre société et une insatiable quête spirituelle.

 

« Chimères et cauchemars » met en scène un personnage seul, auquel le narrateur s’adresse par le tutoiement et qui se trouve confronté à des situations angoissantes. On le voit tantôt piégé par des scorpions ou des araignées (images de prédilection de l’auteur), par des poupées malfaisantes, tantôt emporté dans un chaos de fin du monde. Le héros jouit d’aptitudes surnaturelles : respirer sous l’eau « par la grâce de je ne sais quelle aberration physiologique ou physico-chimique » ; survivre des mois dans un tunnel creusé sous le sable ; subir l’épreuve du vide et de la chute, sans succomber : « Mais à cette heure, dans cette vacuité qu’anime uniquement ce que je croyais être le spectre solaire, ma chute dure encore. » Ce Livre premier donne au rêve toute sa puissance créatrice, mais il se teinte aussi d’une quête métaphysique. Par ses aventures, le personnage cherche à connaître la vérité, le sens ultime de l’existence. Au néant se mêlent des états de renaissance, des métamorphoses : « Me voici métamorphosé en dauphin genre Tursiops. Pleurant à chaudes larmes, je m’élance dans l’océan avec une vigueur proprement stupéfiante. » Le personnage cherche à connaître la source de toute chose, lorsqu’il parcourt l’univers et son espace-temps grâce à un astronef ou lorsque, dans une vie éternelle, il se trouve isolé dans une tour ouvrant à d’autres, qui ont toutes la particularité – pour son plus grand bonheur – de mettre à sa disposition les livres du monde entier.

 

Dans « Les Démoniaques », le registre fantastique s’estompe et laisse place à une condamnation féroce de notre société. Les démoniaques, ce sont les forces du mal qui nous conduisent gaiement à notre propre perte : ultralibéralisme, développement de la technicité au détriment de la nature, règne de la jouissance et de la consommation, suprématie de l’élite financière. Les cibles sont parfaitement circonscrites et, malgré la surenchère des propos, elles nous renvoient aux penchants les plus destructeurs de notre civilisation, à savoir la soif d’argent et l’hybris. L’ironie est cuisante, et la dénonciation ne connaît aucune demi-mesure. Elles agissent sur nous comme une puissante catharsis, révoltant les hommes civilisés que nous sommes, nous forçant à admettre que nous sommes en partie complices d’une société décadente. La littérature déploie ses vertus, puisque les mots désignent le mal. Ils miment le courant dévastateur par accumulation, surenchère, formules concises et efficaces, au point de toucher le point névralgique du corps malade : nous jubilons qu’une écriture puisse mettre au jour ce contre quoi nous sommes impuissants.

Le narrateur lui-même semble être l’unique résistant de ce monde dévoyé : « Les Démoniaques ont beau exercer leur empire (que cela soit de façon occulte ou publique) sur cette misérable planète depuis au moins cent mille ans, ils butent à ce jour contre l’irréductible obstacle que je suis. Et plût à Dieu que cela perdure ! Qu’ils ne se fassent par ailleurs aucune illusion. Même lorsqu’ils auront réussi à éradiquer la faune et la flore ; qu’ils auront réussi à transformer, selon leur noir dessein de domination absolue, des milliards d’êtres humains en esclaves polyaddictifs, en vagues de zombis réifiés et fanatisés (béats en apparence, dépressifs en réalité) ; même lorsqu’ils seront parvenus à bétonner la moindre parcelle de terrain herbeux, rocheux ou marécageux ; et seront parvenus pareillement à transformer – alchimie cacogénésiaque – l’eau des mers ou des océans en une ahurissante et abominable matière glaireuse, grumeleuse, saturée de spumescences putrides et de miasmes carcinogènes, je leur résisterai. Lisez la presse libertarienne ! nous commandent-ils. Épluchez de bout en bout les journaux néolibéraux ! Régalez-vous de nos magazines people ! Moyennant quoi, quand vos cerveaux seront formatés et abêtis au possible, conditionnés à l’extrême selon nos goûts et nos visées secrètes, nous vous plongerons dans l'étude des Chroniques de la Mère-Araignée ou de l’Épître de Môg-mog, des Actes de Mortog-ël ou du Alkhadraxkalhadrax… »

 

Et pourtant, l’auteur ne s’en tient pas à cette condamnation sans appel. Conscient qu’il risque de faire preuve de malhonnêteté intellectuelle, voire de s’engager dans une impasse philosophique en cédant à la volonté de remettre en cause le monde extérieur, sans jamais voir ses propres failles, il poursuit dans le Livre second son corps à corps avec les puissances démoniaques, en s’en prenant à ses propres illusions. En contrepoint à ce qui précède, « Chemins vers rien » se lit comme un livre de sagesse dont la question centrale serait : peut-on aimer la vie quand on déteste ce monde ? Par un retour sur ce qui se passe en soi, le narrateur se met dans l’obligation de se voir en face, de sonder son âme, condamnant ce qui l’a empêché d’écouter sa « voix intérieure », mettant à nu ses erreurs de jeunesse, ses lâchetés, ses manquements. L’exigence de vérité atteint ici son paroxysme. La voix du sage – « Efforce-toi de retrouver, ne fût-ce qu’en partie, cette inclination au mystère qui est le contrepoint sinon le soubassement de chaque enfance – et exclusivement à ce moment-là tu cesseras de creuser tunnel de bourbe sur tunnel de bourbe pour t’abreuver à nouveau à la lumière de toute chose » – alterne avec la voix de celui qui annihilerait volontiers le monde entier, tant il le hait.

 

Dans « Colloque », un dialogue imaginaire entre le Maître et un individu complaisant avec les forces du mal, Christophe Lartas s’appuie sur une dialectique dont les ressorts puisent dans son expérience personnelle afin de mettre à l’épreuve son orgueil et de dénoncer le risque d’entretenir chimères et illusions. Le ton du détracteur est parfois acerbe et drôle : « Maître des ravis de la crèche, ton “chemin” ne serait-il pas celui de l’Enfer, pavé de bonnes intentions ? » À quoi le Maître répond, sans s’émouvoir : « Dès lors, quels que soient les heurs et malheurs de ton existence, que tu la bénisses ou que tu la maudisses – et tu la maudiras bien davantage que tu ne la béniras, à la vérité –, demeurera toujours en toi une indéracinable égalité d’âme que consolideront, c’est clair comme le jour, une grande force et une grande joie intérieures. » L’auteur laisse apparaître des étages dans son état de conscience, desquels résulte une polyphonie créant tantôt des antagonismes, tantôt un clair-obscur, parfois un dépassement des souffrances humaines, comme si les forces du mal étaient progressivement jugulées et soumises. Et c’est ainsi que l’œuvre, par contrastes successifs, joue avec la ténèbre et la lumière, sans se soumettre complètement à l’une ni à l’autre.

L’écriture ravageuse de Christophe Lartas ouvre, avec ce nouveau volume, des horizons intérieurs inexplorés dans les ouvrages précédents. L’auteur orchestre à merveille haine et joie, dénonciation du monde et quête du meilleur de soi, songes et réalité, visions hallucinées et vérités assumées, donnant un souffle nouveau à un monde asphyxié. 

Planète des ombres (Elric Warrior, site Hérésie.com, 2014)

 

Un roman à l'abomination dantesque, un texte dément où chaque page procure l'effet d'un coup de rasoir sur votre chair. J'aurais aimé être Richard Upton Pickman pour fixer à tout jamais sur mon chevalet les créatures décrites par Lartas. Je vous le conseille ardemment, bien sûr, si vous avez le courage de sombrer corps et âme dans son univers.

Satanachias & autres contes (Le Cimmérien, Psychovision.net, 2010)

 

Il y a les livres que vous lisez et que vous aimez. Il y a les livres que vous dévorez et que vous adorez. Puis il y en a d'autres, qui sont encore autre chose, quelque chose de plus fort, un bout de vous, quelque chose qui semble écrit pour vous, qui semble s'arracher de vous. Christophe Lartas et son Satanachias font partie de cela, c'est un livre qui parle pour moi et la sensation à sa lecture est étrange, si je n'avais pas peur des mots je dirais même une sorte d'illumination-confirmation. Ou, pour parler crûment, je dirais que ce petit livre fut à sa lecture et relecture une sacrée claque !

Comment définir une telle œuvre? C'est très difficile. Certains mots me viennent en tête qui peut-être pourraient décrire l'ambiance et le ton général : humaniste, misanthrope, désabusé, réaliste, poétique… C'est à chaque page que l'on en prend plein les mirettes, que votre estomac se tord, que vos yeux se mouillent car devant nous s'étend la crasse de l'humanité, soit les religions, l'urbanisme, la consommation à outrance, les quêtes impossibles, les rêves qui s'envolent, le mal-être, la mort… Oui, il n'y a pas besoin de trente milles pages pour décrire ces choses, la plume de Christophe Lartas, en peu de mots, d'une manière intelligente, incisive et belle, nous décrit tout ça et nous donne envie de nous terrer et de lire encore et encore ses contes. Car, oui, il s'agit bien de contes, des contes éclairés façon "siècle des lumières" mais en infiniment plus intelligent!

 

Le recueil s'ouvre sur un conte, celui qui donne son titre à l'ouvrage. Titre qui a de quoi attirer, comme tout ce qui joue avec le diable! Le personnage est Untel. Il pourrait donc être vous, il pourrait être moi, bref n'importe qui. Le but de ce M. Untel : voir dieu, connaître le pourquoi et le comment de la création, de notre création. Mais qui est le plus beau, qui a le plus de réponses : dieu ou le diable ? Bien sûr, plus proche de nous, le mal. C'est lui qui en premier va lui répondre. Et que lui dit-il ? Connais tes concitoyens, et tu verras peut-être dieu. Et je ne vous parle pas de la "tronche" qu'il se "tape" dieu. Pas besoin d'avoir fait St Cyr pour comprendre. Je vous laisse méditer sur cette fable, qui interroge le bien, le mal, le beau, le laid, et qui nous montre encore une fois qu'il faut toujours voir plus loin que le bout de son nez, voir plus loin que les mots même… Pour moi c'est du grandiose, c'est la réunion de la poésie et de la "philosophie", le terme étant à prendre au sens large. Rien que pour ce texte, il faut absolument se procurer ce petit livre, petit par la taille grand par les textes...
 

Et il est un autre texte absolument fantastique: "Megalopolis". L'histoire d'un homme qui vit dans une ville, une mégalopole comme des millions d'autres. Mais qu'est-ce qu'une ville? C'est la puanteur du bitume, de ceux qui transpirent dans les lieux dit festifs, des gamins qui crient et qui courent, des SDF et la misère qui s'expose sur les trottoirs, des vieillards qui crèvent seuls et tout un tas d'autre joyeusetés qui sont superbement décrites par Christophe Lartas, dans une langue qui ne cache rien, dans une langue qui dit la puanteur, la laideur et l'absurdité de nos villes. Le style est époustouflant, poésie urbaine disant le mal-être de ceux qui n'en peuvent plus de vivre dans ces villes où la vie est plus qu'insupportable ! C'est magnifique. Alors, le narrateur, n'en pouvant plus de cet enfer sur terre, veut s'enfuir, mais s'enfuit-on vraiment ? Court, direct, beau, un texte qui parle du mal-être, de l'emprisonnement, du problème des villes aussi… Bref en quelques pages tout est dit, c'est somptueux et pour moi à la limite du jamais vu.
 

Il est un autre texte qui parle de ce problème, de cette atrocité qu'est la ville : "Le Cycle". Dans le même genre que "Megalopolis" mais sans répéter la thématique, Christophe Lartas nous décrit la "cité" telle qu'elle est. Un lieu où tu consommes, où on cherche à ce que tu sois bien à tout prix, en se foutant des libertés, des espaces verts, de la nature. Où les seuls animaux que tu vois sont au zoo,  mais voilà, ils vont se rappeler à nous. Dans leur super HLM des temps modernes, aux parois translucides pour que la communauté soit soudée, ils les voient venir, nuée verte, plantes, nuées sombres, insectes… Je ne vous en dis pas plus. C'est magnifique, comme si Jacques Tati (pour moi LE génie) avait écrit une SF sombre et torturée, un brûlot écologiste qui n'est pas racoleur, ni dans l'air du temps, se jouant des modes et s'en fichant quelque peu. J'imagine Christophe Lartas écrivant seul face au monde, un monde qui déborde d'horreurs, d'absurdités, et que fait l'auteur dans sa solitude : il vomit, il crache ses quatre contes que l'on prend en pleine tête ; des textes dont on ne revient pas, des textes sur l'horreur, mais beaux malgré tout! Christophe Lartas est un sacré écrivain et la Clef D'argent une sacrée maison d'édition !

Il est temps pour moi de conclure cette chronique. Mais peut-on réellement conclure avec un tel ouvrage? Non! J'ai l'impression d'en avoir trop dit mais en même temps de ne pas en avoir assez dit. Il y en a qui s'époumonent à écrire trente tomes (bon, j'exagère un peu, mais quand même) pour ne pas dire grand-chose voire rien du tout, et d'autres, en quelques pages, changent votre vie, confirment vos choix, renforcent votre pensée. Alors, non, on ne conclut pas avec un tel livre, on le prend partout avec nous, on le promène dans notre poche (et le format s'y prête), on le lit, on le relit, on l'use et on grandit. Rares sont les maisons d'édition qui proposent ce genre d'œuvres intelligentes, belles et différentes. La Clef D'argent ne fait pas de bruit, elle travaille dans son coin mais chacune de ses nouvelles sorties est pour moi un régal et je guette chacune de leur nouvelle production avec un œil avide!

Planète des ombres, Sébastien Chagny, auteur de Humus sapiens et À chaque jour suffit sa haine, courriel à l’éditeur, 2014)

 

En réalité, j'ai été ébranlé par la première partie, et plus serein devant  les deux autres.
 

J'ai ressenti, lors de la première partie, un frisson et une angoisse comme je n'en avais pas éprouvés depuis Sade et Lautréamont. Une impression d'être devant un auteur parvenant à vivre, ou survivre, réellement sans espoir, sans amour de qui que ce soit ou quoi que ce soit, embrassant la cruauté du monde jusqu'à sa propre destruction. Un mécanisme d'atrocité radicale. J'admire en général les écrivains de pure férocité, car je ne leur ressemble pas. Ils vont au bout de la souffrance.
 

Mais, dès la seconde partie, j'ai senti l'auteur me ressembler, s'humaniser, se civiliser, raisonner, s'adoucir et chercher à durer… Je l'ai davantage aimé comme un ami, il a cessé d'être monstrueux, de m'être formidablement étranger. C'est tout ce qu'il y a de plus subjectif et limité, comme "critique", je sais bien, c'est d'ailleurs tout juste une remarque, à vrai dire autant négative que positive, inextricablement.

La force de Christophe Lartas est là, sans doute: on ne jouit du répit des deux dernières parties qu'au regard de la barbare première partie. L'auteur a su stopper sa machine à horreur, pour, changeant de personnalité, dans une schizophrénie très contrôlée, devenir prophète sermonneur dans la deuxième, et mystique de l'amour dans la troisième.

Savoir être un Sade pendant 120 pages est déjà un puissant tour de force,  et savoir cesser de l'être l'est peut être encore davantage....

Autre grand atout, c'est que, somme toute, les derniers mots ouvrent sur une fin très ambiguë:" ça". Ce pronom est très bien trouvé, et nous laisse plein de pensées. En outre, de même que l'on a subi le frisson d'effroi dans la première partie, Christophe Lartas sait nous faire jouir de celui de la joie à la fin de son livre. J'ai ressenti de l'espoir! Merci à lui!
Son écriture est très maîtrisée et très efficace, avec un verbe riche, pour créer des changements d'ambiance, de vision du monde, de monde tout simplement.

Tout noir d'abord, gris ensuite, blanc à la fin. Le triptyque doit être considéré dans son ensemble.

En somme, tout de même, un des livres les plus profonds que j'ai lus depuis longtemps.

Azarphaël, Roi du monde suivi de Jean Montségur, Marianne Desroziers, site Le Pandemonium littéraire, 2017.

 

Le livre se compose de deux novellas, très différentes en apparence, mais qui finissent par se rejoindre.

 

La première s’intitule "Azarphaël, Roi du monde". A la fois ange et démon, prophète et usurpateur, véritable caméléon, Azarphaël a vécu mille vies. Universel, il est de tous les lieux et de toutes les époques et fait voyager le lecteur dans l’espace et dans le temps.

 

Comme dans "Planète des ombres" paru en 2014 chez le même éditeur, "Azarphaël, Roi du monde" ensorcelle le lecteur par la richesse de son imaginaire fantastique foisonnant, notamment avec ses créatures monstrueuses et ses espèces mutantes.

 

Avec Christophe Lartas, le lecteur se surprend à se délecter de scènes d’horreur décrivant les tortures les plus raffinées.

 

"Azarphaël, Roi du monde" saisit par sa radicalité et ses partis pris d’écriture. De longues listes de lieux mais surtout de noms de personnalités. Artistes de tous horizons (dont des écrivains que l’on peut supposer chers au cœur de l’auteur), figures historiques, grands noms du mysticisme, se côtoient avec jubilation. La liste impose son rythme poétique et nous emporte dans son tourbillon jusqu’au vertige. Nul besoin de connaître toutes les personnes citées par l’auteur, les sonorités des noms sont à elles seules des portes vers autant d’univers différents.

 

Le lecteur doit lâcher prise et se laisser bercer, porter par la musique des mots de l’auteur. Pour autant le lecteur n’est pas passif : comme le dit Umberto Eco dans "Lector in fabula", le lecteur coopère avec l’auteur en apportant du sens au texte. Sans être un livre difficile d’accès, "Azarphaël, Roi du monde" est un texte qui se mérite.

 

"Jean Montségur", deuxième novella de l’ouvrage, nous entraîne sur un terrain tout autre, celui de la politique-fiction... à moins que ce ne soit là qu’une fausse piste sur laquelle l’auteur facétieux cherche à nous perdre.

 

Elle nous conte la fulgurante ascension de Jean Montségur, candidat du parti libéral-libertaire qui accède à la fonction suprême. Qui se cache derrière son masque néo-humaniste ? Son ambition connaît-elle des limites ? Aurait-il basculé dans la folie ?

 

Ces deux novellas, comme tous les textes de Lartas, sont hantées par la violence des hommes, la vengeance de la nature, le spectre d’une catastrophe et les prémices d’un monde post-apocalyptique.

 

Une lecture qui procure autant de plaisir esthétique au lecteur sur le moment qu’il marque son esprit pour longtemps.

Planète des ombres (Marianne Desroziers, site le Pandémonium littéraire, 2014)


de Christophe Lartas, j'avais déjà lu et aimé son Précis de bile noire suivi de Saturne, à la frontière entre poésie noire et fantastique débridé publié par le même éditeur il y a quelques mois. On retrouve dans le roman Planète des ombres l'ambiance cauchemardesque et post-apocalyptique de son précédent livre. Planète des ombres se situe plus dans la lignée de Saturne que du Précis de bile noire. L'horreur atteint ici au poétique, au politique et au philosophique.

Dans ce roman, les humains ne sont que des jouets ridicules victimes des Titans qui leur font subir les pires tortures que l'on puisse imaginer (ou plutôt que la plupart des lecteurs n'auraient jamais réussi à imaginer). le roman est d'une noirceur et d'une violence peu communes et avouons-le, ce n'est pas exactement le cadeau de Noël idéal pour votre grand-mère cardiaque ou votre nièce pré-pubère.

Cependant, et c'est bien là l'essentiel, les qualités littéraires de l'auteur sont indéniables et son talent, encore en germe dans son précédent livre, éclate ici au grand jour. LautréamontLovecraftDanteSade, Céline : c'est dans cette cour des grands que joue désormais Christophe Lartas, auteur on ne peut plus discret qui suscite la curiosité du lecteur abasourdi par tant de beauté et d'horreur. Je subodore qui si nous lui demandions d'où lui est venue tant d'inventivité dans la débauche de violence, il ne répondrait pas seulement de son imagination mais aussi de l'histoire de l'humanité... car il est bien dit au détour d'une page que les Titans infligent aux hommes ce qu'ils ont eux-mêmes infligé à d'autres créatures durant des millénaires. C'est pour cela que Planète des ombres est un roman qui pourra plaire aux amateurs de littérature fantastique mais aussi aux lecteurs amoureux du style, d'originalité, d'inventivité. Ce texte a la portée universelle d'un conte philosophique et d'un grand texte littéraire.
Le roman est composé de trois parties : "L'extermination de l'homo sapiens sapiens", "Ombre et poussière" et enfin "La Mort".


La première partie (une centaine de pages) nous conte par le menu l'horreur de ce que subit l'Homme torturé à grande échelle par les Titans. le narrateur fait partie de ces humains et raconte avec un certain détachement ce qui leur arrive. La deuxième partie (une centaine de pages également) est beaucoup plus apaisée, nostalgique et philosophique : tout est fini, les hommes se souviennent de leur vie d'avant amèrement gâchée en partie par leur faute. La troisième partie, très courte, propose une échappée et un espoir possible dans une transcendance mystique voire religieuse.

Satanachias & autres contes (Démons mondains, Necryos, site Apocryphos, 2013)
 
Satanachias. Le titre annonce déjà la teinte de ce qui va s’ensuivre. Ce recueil de Christophe Lartas comprend quatre nouvelles étalées sur 90 modestes pages, et s’inscrit dans la lignée de ces œuvres tout bonnement inqualifiables, tant elles sont imprégnées de surprises et autres idées quintessenciées.

 

Une histoire, un protagoniste principal, un concept. (A chaque fois original, signe d’une verve étincelante de l’auteur, n’en doutez pas ) Et d’ailleurs, ces personnages possèdent, d’une épopée à l’autre, beaucoup de semblances "caractérielles". L’un projette maintes pérégrinations dans le but de rencontrer le Cornu et, — ça coule de source, taper la discut’ par la même occasion ; l’autre discourt sur la société de (sur)consommation ultramoderne à l’excès (dont il est un fidèle) juste avant que celle-ci ne subisse une décrépitude quasi-totale ; le tiers tente d’élucider un mythe remontant à l’âge féodal (mais va vite déchanter et comprendre qu’il aurait mieux fait de rester chez lui, le cul posé auprès de sa chère épouse) et le dernier, quant à lui, compte bien s’enfuir définitivement de sa ville aux fondements carrément méphitiques. Bon, dit comme ça, impossible de faire de quelconques rapprochements, mais plutôt que de blablater, je vous invite affablement à vous procurer ce recueil, le lire, et constater par vous-mêmes, hein ! (Début de chronique, et me voilà déjà en train de prendre la posture d’un vendeur…)

 

Mais qu’il s’agisse d’une quête démiurgique ou simplement d’un moyen d’échapper aux griffes peu aimantes du destin, ils (les gugus inventés par Lartas ) apportent fréquemment des réflexions cerclées de misanthropie. De par leurs actions, leurs paroles, à leur su ou insu, ils sont et restent esseulés, gardant sous la veste des desseins profondément antisociaux. Dénués de tout humanisme, mais ayant toutefois encore un zeste d’humanité dans leurs veines, sujets à une déréliction inconcevable, ils consacrent leurs heures à chercher sens à tout un tas d’éléments qui dépasse leur entendement ; délaissent leur existence au profit d’idéalismes inaccessibles, de cette poursuite insensée vers la connaissance absolue, ou, plus brièvement, vers l’inconnu. Et, à chaque fois, leurs découvertes terribles les font sombrer (dans quoi ? Mystère) parce qu’entre autres, elles reflètent leurs versants les plus malsains. Les thèmes coïncident, Lartas semble mettre copieusement en avant les facettes ignominieuses de l’espèce humaine, son caractère délétère envers le monde. Peu importe le personnage, aux prises avec des forces supérieures, il ne saurait comprendre, ni même appréhender son libre arbitre. D’un univers qui le dépasse, isolé ou en pleine nature sur notre petite sphère en comparaison infinitésimale et  insignifiante lorsque imbriquée dans l’infini, le résultat final est le même : lorsqu’un individu effleure une portion de vérité cosmique, la vésanie le gagne. La claustration de l’âme d’un homme, en a-t-il seulement une ? –- au sein d’un cloaque où la raison n’a plus sa place, ou bien la liberté, n’est-ce qu’un leurre parmi d’autres ? –- d’un esprit insatisfait qui incessamment foule des hectares irisés de plantes et de fleurs ensoleillées dans l’espoir d’embrasser le savoir ultime, de comprendre pourquoi la matière fut et le temps fuit. Lequel possède le sort le plus enviable ? (Tatata, c’est purement rhétorique. Si t’as pigé quelque chose à mon interrogation, tu devrais toi aussi avoir la réponse. Autrement, il ne fait rien, laisse mes galimatias de côté !)

 

Les bons cœurs et autres philanthropes qualifieront ce livre de monstruosité (qu’à cela ne tienne !) où violence/abjection gratuite et décors chimériques se nouent et se dénouent à volonté sans laisser l’œil s’adapter ni même se reposer. On a vite fait de boucler la lecture (même si je dois admettre que, par instants, cela peut très vite devenir un véritable casse-tête langagier… gardez vos dictionnaires à portée !) et pourtant notre discernement s’en trouve altéré à jamais. Les trames succinctes se succèdent, étoffées par un luxuriant style qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler certaines grosses têtes de la fantasy (celle du début XXème, je précise). Ainsi, c’est sur fond tantôt onirique, tantôt lovecraftien, que se déroulent les différents récits. Au final, Christophe Lartas n’a besoin que de son talent et de son stylo pour engluer l’attention d’un esprit curieux. Rien de plus, rien de moins. Il sait comment injecter au corps fiévreux le malaise littéraire et à la conscience amollie un peu de plasma métaphysique, et il le fait ( en plus) avec brio, là où tant d’autres écrivains ont échoué malgré des myriades de tomes pondus. (On appelle ça des sagas, je crois.) Sa maîtrise du genre est stupéfiante. Chaque texte, plongé dans la ténèbre la plus aveuglante, oscille entre conte et prose poétique, garni de symboles qu’il convient de déchiffrer et de pensées qui pourraient, au final, appartenir à Mr. tout le monde.

Saturne (Vedma Nadasty, La Lune mauve, 2011)

 

Saturne est un être marginal et extrême. Il souhaite voir l’humanité disparaître de la surface de la Terre et pour ce faire, il dévore tous les humains qu’il croise sur son passage. L’histoire de ce qu’il considère comme son labeur est racontée à travers le livre.

 

Saturne est un récit qui surprend le lecteur, et que les âmes sensibles devront s’abstenir de lire. Le personnage est selon moi comparable à un Sisyphe téméraire et solitaire, qui s’est fixé un but a priori inatteignable : être seul au monde. Le livre renferme un mélange détonnant de laideur et de beauté, de cruauté et de douceur. En effet, Saturne est un monstre. Pourtant, les mots employés pour décrire ce qui lui traverse l’esprit et ses motivations sont très purs, et on peut le voir comme un individu blessé et éprouver de l’empathie.

 

Le registre est tour à tour très cru et poétique. Le livre n’a probablement aucune finalité philosophique, mais il tend pourtant à nous faire réfléchir. C’est justement cette absence de commentaire, ce choix permanent de la description, qui plonge le lecteur dans l’embarras et qui l’oblige à prendre part pour Saturne ou pour l’espèce menacée par son ventre et sa haine insatiables. Ce que j’apprécie beaucoup, c’est l’effacement de l’auteur, cette narration nue des faits.

 

Je trouve très réussi ce livre si bien écrit, si étrange dans son propos comme dans son écriture. Je pense que la musique du groupe Marduk siérait à merveille à ce livre, en raison de son agressivité et de son imagerie liée à la guerre au sens vaste du terme.

Planète des ombres (Philippe Sarr, site de l’auteur, 2014)

 

A la lecture de ce roman — le travail sur la langue y est quasi orgiaque — l'on comprend très vite que les monstres de Lartas, par leur cruauté sans limite — nous y sommes dépecés, démembrés, ratatinés, sodomisés, parqués dans des camps — nous ressemblent comme deux gouttes d’eau. 

 

Le malaise que l’on éprouve, une fois entré dans ce qui pourrait s’apparenter à un musée des horreurs superbement bien rendu –- les descriptions des scènes de lynchage et autres énucléations y fourmillent de détails que l’on pourrait, ayant fait abstraction de la cruauté qui s'en dégage, qualifier de croustillant -- et l’on pense dés lors à Dante et à sa Divine comédie -- réside donc dans ce postulat, rien ne naissant de rien. Christophe Lartas nous tend un miroir dans lequel nous nous reconnaissons dans notre capacité à enfanter des créatures à la toute puissance effroyable, prompte à détruire et à réduire en bouillie tout ce qui vit et bouge.

 

Pour autant, au regard de notre insatiable besoin narcissique de nous penser tels que des créatures d’exception dans un univers dont nous serions la seule et unique mesure, il y a la révélation d’un monde pluriel (les titans et autres monstruosités biologiques) dont l’infinie diversité donne le vertige, fait prendre conscience de ce que l’Homme est ! A celles qui ont été provoquées par Copernic, Darwin puis Freud, s’ajoute une autre blessure qui lui est violemment infligée : quand il se croyait au-dessus de tout, il n’est rien de plus qu’un atome dans l’immensité !

 

Et nul n’y échappe. Le tableau est d’une noirceur absolue. Femmes, enfants, artistes, philosophes, chercheurs, des plus anciens aux plus modernes, asservis ou rebelles, participent, par leurs œuvres et leurs actes, de cette sombre débâcle cosmique. Le Mal, nous dit le narrateur, est consubstantiel à la vie, à toute création ainsi qu’à ses auteurs, voués, pour cette raison, à disparaître dans la « vacuité du temps », à mourir comme ils ont vécu, à savoir « inconscients et aveugles »… Ne survit à ce carnage, le nôtre et celui des traces que nous aurons laissées derrière nous comme autant d’ombres insignifiantes, qu’un livre, donc, et son narrateur, un narrateur « désubstantié », éclairé et éclairant (un être de pure lumière, un pacificateur ?), qui, page après page, nous assène la preuve de notre hideur : nous sommes « mauvais », tout comme l’est tout ce que nous touchons ou créons, et comme le sont également les dieux de notre triste panthéon ! Reste la question de la responsabilité. L’Homme avait-il la liberté, le choix moral d’être autre ?...

 

La seule bonne nouvelle de ce roman, c’est que, quoiqu’il advienne, il y aura toujours quelqu’un, quelque part, sous une forme ou une autre, pour raconter et écrire des histoires — ici, la nôtre, ce qui démontre une fois de plus que la littérature nous est aussi indispensable que de respirer.

 

Roman philosophique, moraliste ?, donc, qui interroge sur la place de l’Homme à l’échelle cosmique, sur sa nature (l’homme est-il par nature un être moral?). Si l’on en croit le narrateur, il n’a guère plus de valeur ontologique qu’un grain de poussière ou que l’infime partie d’une goutte d’eau dans le plus vaste des océans qui a donc pour seul mérite celui d’exister et qui, de fait, ne saurait avoir de conscience morale ! Demeure ce texte surprenant, parfois difficile de lecture de par sa noirceur absolue, riche comme je le disais, post-apocalyptique, dont on peut penser raisonnablement qu’il aura été composé à une époque largement postérieure à la nôtre, et aura donc échappé au carnage final, à l’effacement définitif, et donc au pire des scénarios qui, pour nous, puissent s’imaginer…

Satanachias & autres histoires suivi de Howard Phillips Lovecraft bloc d'éternité (Nathalie Z. , site Scifi-universe, 2019)

 

De la poésie macabre et sublime et des textes philisophiques.

Il est des livres qui nous arrivent par hasard entre les mains, et des livres qu’on n’oublie pas. Satanachias est de ceux-là. Cet ouvrage de Christophe Lartas, édité par la maison l’Abat-jour, à qui l’on doit également Fantasmagories, est d’une finesse et d’un langage superbe. Il regroupe plusieurs nouvelles et un vibrant hommage à Howard Phillips Lovecraft

 

Satanachias suit le voyage initiatique de cet homme qui souhaite poser une question au démon mais est-il prêt à recevoir la réponse… Cette nouvelle philosophique est portée par une langue d’une puissance évocatrice sans précédent. Sans la mesquinerie de certains ouvrages métaphysiques, ni l’aspect pompeux, mais avec un peu de misanthropie, Christophe Lartas décrit les travers de notre société tout au long du voyage de l’individu, mais aussi dans les nouvelles suivantes. Son regard acéré est dur, cruel parfois, mais réaliste et assumé. Il fait appel à notre conscience, nous force à réfléchir sur notre mode de vie et nous remue profondément en créant un malaise par la virtuosité de son langage. Certains passages vous donneront envie de poser le livre quelques instants pour reprendre votre souffle. Son usage des listes donnent le vertige avec des mots scandés sans fin. Son lexique suranné semble sans limite. Le rythme est lancinant et vous emporte…

 

Un cycle dénonce cette humanité qui pullule, trop nombreuse et trop gourmande des ressources terrestres. Mais la planète n’en peut plus de ce parasite infâme ; elle prend sa revanche lentement, inexorablement. La Nature se soulève alors contre le genre humain. Un texte dérangeant aux thèmes écologistes forts qui condamne l’ignominie de ce monde. Megalopolis reprend des idées proches, mais insiste sur les inégalités et la folie absurde de la vie dans les mégalopoles urbanisées à outrance, où l’on s'entasse dans des cages à poules pour pouvoir consommer plus. Les ordures entassées, la noirceur et la tristesse, la violence aussi, toutes donnent envie de fuir à la campagne en lisant cette nouvelle.

 

Marssygnac évoque la quête insensée d’une tour immense qui n’apparaît que quelques fois par siècles. Une nouvelle pleine de poésie qui pourrait être porteuse d’espoir et d’optimisme, mais son héros n’est qu’un homme. A part cette dernière nouvelle, les histoires se déroulent dans un futur très noir, cyberpunk malsain, proche d’un K. Dick. Les loisirs sont brillants par leur abjecte bêtise ou leur violence. La vie telle qu’on pourrait l’imaginer dans les scénarios les plus sombres. Avec son vocabulaire cinglant, son humour noir, Christophe Lartas, nihiliste, ne fait aucune concession aux humains qu’il condamne pour leur choix de vie. Pourtant, jamais le lecteur ne culpabilise, il est plongé dans cette vision atroce pour le faire réagir, dans un chaos poétique de mots bien choisis. Rares sont les ouvrages à la beauté vénéneuse qui prennent au ventre pourtant.

 

La deuxième partie du recueil est un hommage poétique au maître de Providence. Bloc d'éternité est une lettre d'amour à l'univers de Lovecraft. Cthulhu et les autres Grands Anciens ont droit à des poèmes en prose. Tel un mantra, cette poésie macabre joue sur les répétitions et ravira les amateurs de l'auteur américain. Vous y trouverez même des fragments oubliés du Necronomicon écrit par le poète fous, Abdul al-Hazred. Le dernier poème n'est pas sur les créatures mais sur le créateur lui-même et dévoile toute l'admiration de Lartas pour Lovecraft.

Satanachias est un recueil de textes surprenants, sombres, poétiques, parfois nihilistes : des nouvelles philosophiques, écologistes, si bien écrites qu'elles vous remueront physiquement. Et, cerise sur le gâteau, la deuxième partie de l'anthologie est un vibrant hommage au maître de Providence et à ses créatures impies. Ces écrits raviront les fans d'Howard Phillips Lovecraft. Avec un style intense et vertigineux, Christophe Lartas se place dans le sillage noir d'Edgar Allan Poe et de Kafka. 

Azarphaël, Roi du monde suivi de Jean Montségur (site La Cause littéraire, Patryck Froissart, 2017)

 

Novella : roman court, où tous les événements sont reliés à un seul événement principal, laissant des périodes de repos au lecteur et dont la chute est normalement lente. Cette définition convient parfaitement aux deux novellas réunies dans ce volume des Éditions de l’Abat-Jour : Azarphaël, Roi du monde, et Jean Montségur. Les deux fictions sont de nature très différente, bien qu’appartenant au même genre littéraire du roman d’anticipation.

 

Azarphaël, Roi du monde, écrit à la première personne, place le narrateur en situation à la fois de témoin et d’acteur d’un monde en totale déréliction, proche de son implosion cataclysmique terminale, caractérisé par l’instauration d’un régime mondial ultralibéral, d’un « tissu économique et social reposant en premier lieu sur les biens patrimoniaux » et « la prééminence de l’argent et de l’appât du gain », et ayant pour conséquence le retour de « privilèges héréditaires comme aux plus beaux jours des régimes aristocratiques ou féodaux ».


La description des troubles, révoltes, jacqueries en tous genres, engendrés par l’extrême exacerbation des injustices économico-sociales, est celle d’une gigantesque boucherie, d’un chaos semblant irréversiblement devoir aboutir à la fin du monde, à l'écroulement total, en château de cartes, d’un ordre mondial régi jusque-là par une caste extra-minoritaire qui se croyait héréditairement intouchable pour les siècles des siècles et qui n’a pas su, pu, ou voulu renoncer, à thésauriser de façon exponentielle avant que se produise ce qui paraît advenir comme une inévitable apocalypse. L’auteur excelle dans les listes, les accumulations, les arsenaux, les énumérations à la façon de catalogues, dans lesquelles il s’amuse à insérer des incongruités…Attention, âmes sensibles s’abstenir!


Au moment où l’effondrement général est imminent, survient le Sauveur. L’auteur reprend le mythe messianique, sous une forme originale puisque l’Envoyé, Azarphaël, représentant d’une lointaine civilisation extra-galactique, est une araignée géante protéiforme aux couleurs et aux attributs différents à chacune de ses apparitions.Sous la direction d’Azarphaël, un monde idéal se constitue rapidement sur les décombres de l’ancien, et commence une ère édénique, jusqu’au jour où l’Ange avoue qu’il ne peut répondre à la question de la nature de l’âme et de son devenir post-mortem. La nouvelle humanité supportera-t-elle le terrible choc de cette angoissante révélation métaphysique? 

 

L’auteur manie la langue avec une remarquable dextérité, une jouissance communicative, une connaissance encyclopédique des mots les plus rares, et manifeste une propension folle à l’exhaustivité lorsqu’il s’agit de collecter les toponymes, de compiler les personnages historiques, de répertorier les mythes et leurs acteurs… au point de provoquer le tournis. Un véritable tour de force littéraire…Lartas mentionne à la fin de cette étonnante novella que l’écriture lui en a pris quatre années. On le comprend aisément tant les références sont innombrables.

 

Jean Montségur, titre éponyme du personnage principal de ce deuxième texte, raconte l’ascension fulgurante d’un jeune politicien séducteur et intrigant qui use sans scrupules, avec une intelligence machiavélique, de toutes les ressources et toutes les ficelles politico-médiatiques, de toutes les formes possibles de la démagogie, de toutes les annonces et promesses de nature à aveugler les masses pour parvenir à la fonction suprême de président de la république française. Anticipation ? Prémonition ? Quoi qu’il en soit, le jeune président nourrit, derrière son masque de charme, un dessein secret : celui de redonner à la France la première place dans le monde. Pour ce faire, il dispose d’un adjuvant puissant : un certain bouton qu’il lui suffirait d’actionner pour déclencher un maelstrom nucléaire…Son machiavélisme lui permettra-t-il d’aller au bout de son « idéal » délétère ?


Le récit, ici, est fait à la troisième personne par un narrateur qui semble avoir fait le constat d’un dysfonctionnement croissant des grandes démocraties dans lesquelles s’ancre le culte de la personnalité, de l’icône, du réformateur soi-disant porteur de renouveau, mais jouant sur la nostalgie d’un passé idéalisé.Vision inquiète et inquiétante de ce qui pourrait se produire à court terme ? Alors que l’intrigue de la première novella se déroule sur un rythme lent, ponctué de pauses énumératives et de diversions historiques, scientifiques, ésotériques, celle de Jean Montségur entraîne le lecteur dans une succession rapide d’événements d’importance mondiale croissante déclenchés par le Président : suspense et tension garantis !


Christophe Lartas est un écrivain gourmand de vocabulaire. Le lecteur ressent la délectation continue que cet auteur éprouve dans l’écriture et le maniement, voire la manipulation, des mots. Par-delà cet amour exacerbé de la langue et de ses richesses, le romancier exprime une opinion extrêmement pessimiste de l’état et de l’évolution de nos sociétés, et une vision cataclysmique de leur futur proche.

Satanachias & autres histoires suivi de Howard Phillips Lovecraft bloc d’éternité (Elric Warrior, site Hérésie.com, 2016)

 

Lucidité terrifiante ? Misanthropie exacerbée ? Pessimisme fondamental ? Christophe Lartas nous offre une fois de plus (après Précis de bile noire suivi de Saturne et son roman  Planète des ombres), de sa plume noire et empoisonnée, la vision d'un homme (ou de lui-même ?), minuscule grain de poussière qui parcourt le monde pour découvrir la vérité ultime au sein d'une mythique tour noire ou révéler le combat d'un individu asocial, ou pas, tentant de fuir désespérément une ville nommée Megalopolis qui fourmille de cent abominations, fruits du genre humain. Certainement, un livre qui vous comblera et que je vous conseille vivement. Avec Christophe Lartas, vous n'avez aucune chance de vous en sortir, vous assumez pleinement votre destin de "jouet", la Nature seule, en son temps, reprendra ses droits.

 

À noter, un hommage poétique et macabre avec Howard Phillips Lovecraft bloc d’éternité. L’auteur se permet même de nous offrir, en une vision sublime, des fragments du terrible Necronomicon.

Planète des ombres (Colimasson, Babelio, 2019)


Lovecraft évoqué sur la quatrième de couverture : argument marketing – écritures radicalement étrangères l'une à l'autre. Le point commun ? La résurgence des Grands Anciens.

Leur règne est désormais assuré. Des tableaux s'enchaînent, montrant l'humanité torturée par des insectoïdes démesurés et dotés d'organes se prêtant aussi bien à la macération qu'à l'éjaculation, à la dissolution qu'au broyage, à l'énucléation qu'à la dissection. Leurs esprits, à l'image des créatures humaines, sournois et fourbes, élaborent des plans tordus pour mener la torture à son plus haut point de douleur. C'en est trop, pour qui souffre déjà suffisamment de la surenchère macabre que nous inflige le divertissement quotidien, et du spectre de la mort dans les dédales infernaux des hôpitaux.

La gratuité de ces tableaux laisse soupçonner un dérangement psychique important dont notre auteur n'est pas la seule victime, puisque nous avons tous été, un jour ou l'autre, demandeurs de torture par procuration. Ainsi que la pornographie ne s'embarrasse pas de scénario pour laisser bite et con se rencontrer, ce petit livre guilleret ne cherche pas à expliquer pourquoi les insectoïdes géants sont venus niquer notre race. Implicitement, il faut comprendre que nous l'avons bien mérité. Peter Singer ne doit pas être loin derrière cette idéologie qui, sous prétexte que l'humanité n'a pas été assez gentille avec les insectes et les animaux, mérite d'être tuée par eux comme le feraient des humains. Plutôt que de chercher à poser sur l'humanité un regard neutre, il est de bon ton désormais de l'accuser de tous les maux et de lui faire savoir que la race des fourmis, des termites et des abeilles lui est moralement supérieure -– ce qui est ignorer profondément les réalités de la nature, et ignorer que nous en faisons aussi partie. Bien que la plume ne soit pas des plus moribondes, ce livre est un exutoire bien trop puissant pour une âme faible comme la mienne. L'horreur viscérale se transforme ainsi progressivement en apathie. Nos corps sont mous, mais ce n'est pas une raison pour les détester.

Satanachias & autres contes (site Al Capone, 2013)

 

Ce beau recueil se compose de quatre nouvelles toutes aussi sombres les unes que les autres : Christophe Lartas, auteur indéniablement marqué par l'influence de Lovecraft (mais pas seulement), y décrit avec pessimisme des univers imaginaires où la beauté de la nature a fait place à des mondes ravagés par la calamité de la bêtise humaine. Dans Satanachias, Untel part à la recherche du Diable et trouve le Dieu maudit qui a fait le malheur des hommes ("Ainsi c'est toi qui as créé cette saleté d'Univers ! cette saleté d'espèce humaine ! Toi qui as créé la vie et la mort - et l'immonde toute-puissance de la souffrance et du mal" p.24). Cycle raconte quant à elle l'ignominie du monde. Celle où "le monde n'était plus du tout tel que nous l'avions connu -- et hélas tant aimé ! le monde n'était plus qu'une ignoble marée montante d'irrationalité malsaine et malveillante nous submergeant de ses vagues de délire tout droit surgies de l'infecte nuit des temps et de nos cauchemars les plus hideux." (p.33). Quant à Marssygnac, il s'agit d'une quête étrange qui finit en queue de poisson. Enfin, Megalopolis est la nouvelle du recueil que je préfère. Elle dénonce l'absurdité d'une société superficielle qui ne jure que par ces nouveaux divertissements plus aberrants les uns que les autres (absurdes reality-show, partouzes publiques, course stupéfiante et alcoolique à la défonce...).

 

Dans l'ensemble, le style est noir, très noir. Les mots cinglants. Les descriptions ultra-violentes et les chutes ultra-brutales. Mais je n'en dirai pas plus excepté que l'écriture de Christophe Lartas fait honneur à la poésie : si le chaos et l'horreur sont omniprésents dans ces textes, c'est toujours dans une langue imagée et soutenue (et donc très appréciable) que l'auteur nous entraîne dans ses fictions empoisonnées. Je vous laisse donc le soin de découvrir la plume de ce "poète à l'âme obombrée par la ténèbre, philosopheur noir, chroniqueur de la Nocturne et hagiographe du Néant." (description des auteurs de la collection NoKhThys par l'éditeur)…

 

Avec son titre SaturneChristophe Lartas m'avait emmené très loin. Si j'avais déjà deviné cette profonde noirceur qui est sa marque de fabrique, je n'avais pas ressenti ce qu'ont provoqué en moi ces quelques textes. Autant le nihilisme de Saturne m'avait un peu refroidi, autant Satanachias me surprend à adhérer au pessimisme de l'auteur. Aussi déconcertant que ténébreux, ce recueil saura secouer les esprits les plus insouciants...

 

Azarphaël, Roi du monde suivi de Jean Montségur (Valérie Rossignol, site littéraire Les Corps célestes, 2017

 

Qu’y a-t-il d’absolument indicible dans ce que nous vivons aujourd’hui? Quelles formes les oppressions prennent-elles pour que ne nous puissions plus les nommer, pour que nous exigions de la littérature un espace propice au sabotage de nos systèmes de représentation ? Notre civilisation arrive peut-être à un stade où elle opère une lente révolution, un effondrement si subtil que nous ne le percevons pas comme réel. C’est dans cette ambiance d’échec consommé que Christophe Lartas entreprend la création de légendes qui précipitent notre histoire dans une catastrophe universelle.
 

Les deux novellas, Azarphaël, Roi du monde et Jean Montségur (Éditions de l’Abat-jour, 2017) ont la même visée: élaborer un récit qui explore les origines du monde et son sens, sa finalité. Or, que ce soit le roi Azarphaël ou le Président Montségur, les maîtres ne sont plus en mesure de donner de l’espoir. La ploutocratie a une telle emprise sur les comportements humains qu’il règne une désespérance complète. Aussi le récit de science-fiction permet-il de cerner les hantises de l’écrivain: quelles légendes pourraient rendre compte à la fois de la mauvaiseté des dirigeants, de nos impasses civilisationnelles et de notre besoin de donner un sens à la vie?

 

Dans les deux novellas, le récit imaginaire s’apparente à une cosmogonie qui recrée de façon fantaisiste les lois spatio-temporelles et place l’humanité dans un insondable cycle cosmique. La vie sur terre n’est finalement qu’un épisode anecdotique dans l’existence de l’univers qui connaît d’autres maîtres et d’autres créateurs. Il faut, pour rendre compte du caractère foncièrement mauvais des chefs qui gouvernent le monde ou la France, créer des images fortes associées à l’esprit du Mal: l’une est Azarphaël, une araignée splendide et puissante, qui se nourrit des humains, l’autre Jean Montségur, un président libéral-libertaire à l’image de notre monde: « Durant la campagne électorale de la présidentielle Jean Montségur avait su caresser les foules en se montrant proche de leurs "préoccupations quotidiennes" et attentif à leurs inquiétudes pour ce qui touchait à l’"avenir de leurs enfants"; il avait flatté les corps constitués et les élites en se prévalant d’une "modernité sans concession et sans tabous" placée sous l’égide de la réforme et toujours prête à aller dans le sens du "progrès et de l’innovation" à l’aune du "pragmatisme"; il avait fait miroiter aux acteurs économiques et financiers du pays des lendemains qui chantent où l’"enrichissement sans limites de talents hors du commun" ne serait plus vécu comme une injustice par le gros de la population en vertu d’un "libéralisme rajeuni et décomplexé", et, à partir de là, "créatif, ludique et pérenne"; il avait promis aux classes intermédiaires une élévation continue de leur niveau de vie au sein d’une société de loisirs et de consommation toujours "conviviale, festive et participative" [...] Bref, à force de propos en apparence spontanés mais en réalité toujours longuement prémédités, de mensonges éhontés mais toutefois aisément gobés par la multitude par la raison qu’ils rejoignaient chaque fois d’une façon subtile ou grossière les dogmes de l’idéologie désormais universellement dominante que les instances et les médias nationaux ou internationaux répercutaient ad nauseam; à force de joviale hypocrisie et de faconde fallacieusement peuple, de relooking corporel et vestimentaire opéré selon des canons de beauté très tendance, de charisme travaillé à l’imitation des standards cinématographiques et de formules jeunes, le premier secrétaire du Parti libéral-libertaire put enfin devenir le "président de tous les Français". »

 

Nul besoin d’élection pour qu’advienne le règne du roi araignée: « Azarphaël, au zénith d’un été caniculaire où les êtres humains mouraient comme des mouches, fit son apparition sur la Terre, vêtu de brocart pourpre à étoiles d’or, couronné d’une mitre de diamants ». On l’accueille et on l’adore. Son aptitude à changer de formes, ses connaissances ésotériques, son autorité inspirent le respect. Mais, alors que le peuple l’écoute comme s’il allait délivrer la Vérité, son discours égrène dans une litanie macabre les noms des auteurs, des œuvres, des bibliothèques qui ont été anéantis depuis les origines, prouvant par là la puissance du Mal sur terre. L’attente d’une vie meilleure est ruinée par la démonstration que, désormais, seuls les gestes destructeurs importent. Le savoir encyclopédique d’Azarphaël déçoit dans la mesure où il n’autorise aucune quête mystique, aucune remise en cause existentielle.
 

Dans l’économie du récit, l’énumération sans fin des noms propres creuse un dédale destiné à ruiner la construction narrative. La forme adhère à la visée subversive du narrateur. Ainsi s’élabore progressivement une dystopie: si l’on ne peut créer un monde meilleur, si l’on ne peut faire prendre conscience aux hommes qu’ils épuisent les ressources de la planète pour satisfaire non leurs besoins mais leurs désirs voire leurs caprices, s’ils n’ont plus la liberté de remettre en cause l’idéologie dominante, alors il est nécessaire de saper ce que l’on a de plus précieux: nature, livres, chercheurs, écrivains, ces derniers étant considérés sous le règne d’Azarphaël comme des délinquants: « Car il était proprement aberrant, pour ne pas dire inconcevable, que de nos jours encore l’on pût tolérer que sévissent de par le monde ces reliquats du passé que secrétèrent les névroses sinon les psychoses – le plus souvent en dehors de tout présupposé socio-économique, socioculturel ou religieux – d’individualités communément déviantes, asociales, tarées, traduisant de la sorte une funeste dysharmonie avec les processus logico-mathématiques et logico-mystiques du Cosmos. » La dénonciation en creux devient savoureuse quand on voit ce que la société d’Azarphaël valorise, puisqu’il faut « élever au firmament de la gloire ces foultitudes d’entertainers contemporains – dynamiques, aimables, branchés – qui dispensaient par pure générosité et par amour de l’Art Vivant une infinité de productions pluriculturelles sympathiquement festives, participatives et facilitatrices. » 

 

Aussi les hommes finissent-ils par détester leur roi quand ils comprennent qu’ils ont adoré non un maître mais un imposteur. Il en est de même pour ceux qui ont obéi aux ordres d’un président machiavélique, qui déclenche une guerre mondiale en abusant de la crédulité et de la soumission des membres du conseil supérieur de la Défense nationale, ce qui n’est qu’un juste retour des choses puisque l’humain n’est décidément pas capable d’agir autrement que par amour-propre et par ambition.


Une société qui ne peut renouveler ses idéaux, définir ses aspirations s’en remet à un être suprême, une entité puissante, garante de l’ordre du monde. C’est peut-être pour Christophe Lartas une façon de tourner en dérision l’aliénation et le manque d’imagination de toute civilisation à bout de souffle. Se reposer sur un référent tout-puissant, c’est considérer que la responsabilité individuelle est vaine et qu’aucun nouveau modèle de pensée n’est envisageable. « Le faste mésopotamien du règne d'Azarphaël-Métatron a fui à la vérité avec les jours d’antan, de l’autre côté de la bleuâtre rivière des songes. Son royaume éternel va désormais à vau-l’eau. Tout prend une tournure néfaste – comment ne pas s’en apercevoir? – et nous ne savons que rester là les bras ballants à la merci d’autres impondérables, accoutumés que nous sommes à nous reposer entièrement sur la puissance, la science et la gloire de notre Roi. » Par le récit d’une apocalypse qui n’en finit pas, le narrateur approfondit, encore et encore, le sentiment de déception. Et pourtant, tant qu’il y aura un écrivain pour détruire l’humanité, il y aura aussi une pensée pour la questionner dans l’apocalypse même qu’elle subit. Au lecteur d’interroger ce que constitue le revers métaphysique et politique de cette dystopie.   

Azarphaël, Roi du monde suivi de Jean Montségur (Patryck Ficini, Sueurs Froides, 2017)  

 

Christophe Lartas est sans doute le plus original des nombreux disciples de H.P. Lovecraft. Si tant est que l’on puisse le considérer comme tel. En effet, s’il reprend fréquemment à son compte les divinités atroces nées de l’imagination galopante de Lovecraft (Les Grands Anciens), s’il en crée même d’autres comme pour se conformer à une certaine tradition, Lartas les utilise d’une façon inédite en se refusant notamment d’imiter le type d’intrigues dites lovecraftiennes, ou même l’écriture du Maître de Providence (ce, malgré des points communs qui ne sont en aucune façon les preuves d’une volonté d’écrire « à la manière de ».)
 

Lartas met ainsi souvent en scène des créatures, dieux ou démons, en leur accordant le premier plan au détriment de l’espèce humaine, condamnée et souvent condamnable et qui ne sert ici que de chair à massacres. De même son profond pessimisme s’exprime à travers une vision politique, économique et écologique ténébreuse au possible de notre présent et de notre avenir proche. Lartas coupe aussi les ponts avec l’écriture pulp et la littérature populaire dont firent partie nombre d’écrits relatifs à ce qu’il est convenu de désigner comme le Mythe de Cthulhu. Christophe Lartas n’en fait qu’à sa tête, pourrait-on dire, sans soucis aucun de plaire au plus grand nombre. Lartas appartient peut-être à ces auteurs qui écrivent avant tout pour eux, comme sous le coup d’un désir aussi profond qu’impérieux. Tout le contraire d’un auteur de best-seller, en fait. Si, après coup, la prose hallucinée de Lartas rencontre son public, ce ne sera gage que de son originalité et de sa qualité.
 

L’écriture de Lartas est extrêmement riche et travaillée, à tel point qu’un lecteur inattentif pourra aisément se perdre dans ce déluge verbal et ces phrases parfois infiniment longues (mais toujours maîtrisées). Sa littérature réclame de la concentration et de l’effort. Lartas n’est pas un auteur à lire dans le métro. Dans la pénombre, le silence et la solitude, oui.


Azarphaël, Roi du monde nous présente l’un des dieux maléfiques de Lartas. Ce qu’il a accompli par le passé et ce qu’il change à son retour dans notre monde. Un monde corrompu, écologiquement délabré, moralement déchu. Un monde déjà promis à sa perte par les hommes décadents qui le commandent, tels des parasites avides et autodestructeurs.


Azarphaël, comme d’habitude, ne plaira pas à tout le monde. Avouons d’ailleurs que nous sommes sans doute passés à côté de ce petit roman, alors que nous suivons et apprécions Christophe Lartas depuis ses débuts à la Clef d’Argent. Après un début très prometteur, témoin de la décrépitude de notre vieille Terre, Lartas s’embourbe un peu avec des listes interminables de noms de personnages ou de villes qui rendent la lecture sans doute trop malaisée pour nous, et pour cette fois. De plus, Azarphaël n’est pas, tel qu’il nous est présenté, une créature aussi mémorable que ne le furent en leur temps Satanachias ou les démons dévoreurs du roman Planète des ombres. Dommage, peut-être. Encore que le style Lartas est si particulier qu’il saura toujours trouver une part importante de son lectorat pour le louer. C’est là le mérite d’une littérature au fond jamais lue ailleurs.Souvent extrêmement brillant, Christophe Lartas n’est jamais mauvais tant il est « autre ». C’est là tout l’intérêt de sa différence.


Jean Montségur, la seconde novella de ce dernier recueil paru aux éditions de l’Abat-Jour, touche plus si l’on veut à une forme d’anticipation, ou de politique-fiction, qu’au fantastique inédit d’Azarphaël. Le Montségur en question est élu Président de la République française. L’occasion pour Christophe Lartas de développer encore davantage le côté politique de son oeuvre. Inutile de préciser que les réformes entreprises par Montségur pourraient radicalement bouleverser l’histoire future de notre pays. Au fait, qui est vraiment Jean Montségur et que désire-t-il pour la France – ou pour la Terre ? Seule la lecture de ce nouveau délire construit avec soin pourra en apporter la réponse. Avec son lot de surprises. Le pessimisme de cet auteur hors norme ressort dans ce nouveau chapitre d’une véritable épopée de la Condition (In)humaine progressivement développée au fil des publications.


Avec Christophe Lartas, le chaos, la guerre totale, voire la fin du monde ne sont jamais très loin…

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