Miniatures, micro-récits
- christophe lartas
- 20 juin
- 2 min de lecture
Extrait de texte 10 Miniatures, micro-récits Miniatures ou la Ronde des morts qui se consument dans la spirale en feu du temps, micro-récits, 2021, éditions de l'Abat-Jour

Miniatures, micro-récits Miniatures ou la Ronde des morts qui se consument dans la spirale en feu du temps, 2021 Extrait de texte 10
11
Staline disait au sommet de sa puissance et de sa gloire qu’à la fin, c’est toujours la Mort qui gagne, et qu’à l’orée de la vieillesse nos vies nous paraissent s’être déroulées à la vitesse d’un train express fonçant à travers la Sibérie. Il disait encore qu’il n’avait eu véritablement peur qu’à une seule occasion au cours de son existence : quand il avait connu pour la première fois le sentiment amoureux. Alors que son entourage et les peuples de l’URSS le regardaient à ce moment-là tel qu’un demi-dieu, lui se voyait toujours plus malade et en train de devenir un vieillard. Il déplorait de façon amère qu’on n’employât jamais avec lui le langage de la vérité — mais quand quelqu’un osait la lui dire sur quelque sujet que ce fût, il finissait le plus souvent avec une balle dans la nuque ou dans un camp de travail après avoir connu la torture.
13
Howard Phillips Lovecraft se tenait pour un écrivain, sinon raté, du moins de troisième ordre, et fût-ce aux derniers jours de sa vie. Lev Nikolaïevitch Tolstoï, pour sa part, jugeait qu’il avait dépassé Shakespeare, et même Homère, dès après l’écriture de Guerre et Paix. Il existe à vrai dire autant de variétés d’écrivains que de variétés d’arachnides. Il se trouve cependant que les écrivains véritables partagent un point commun, sur quoi s’appuie toute leur existence : un goût immodéré, voire compulsif, pour la lecture. L’amour sans bornes des œuvres et des livres. Il est aussi avéré qu’ils partagent un autre point commun de première importance : c’est que Satanaël cracha sur leur face un glaviot vénéfique dès le soixante-sixième jour de leur naissance.
14
L’espèce humaine — ou du moins ce qu’il en restait — s’éteignit entièrement lors de son troisième cycle cosmique. Les fourmis prirent le relais ; elles soumirent le monde durant trente-six millions d’années, le temps de sept cycles cosmiques. Elles furent supplantées par les grandes pieuvres, qui primèrent le long de cent soixante-dix-sept millions d’années. Après quoi ces dernières s’éteignirent à leur tour, par manque de goût pour la vie, selon toute vraisemblance ; peut-être à cause d’une indifférence croissante pour les énigmes de l’Univers, qui se révélaient en somme toujours pareilles et ne débouchaient jamais que sur d’autres énigmes toujours plus insolubles. Survint pour finir la période où il n’y eut jamais plus d’intelligence dominante sur la Terre ; les lois naturelles s’établirent à nouveau, et une certaine harmonie avec elles. Le Paradis n’était plus loin.