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Impossible hiérarchie en littérature ? 2

  • christophe lartas
  • 14 déc. 2024
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 13 juin


Littérature (littérature populaire) 6 Impossible hiérarchie en littérature ? 2


Fra Angelico, Le Jugement dernier (1431-1435)
Fra Angelico, Le Jugement dernier (1431-1435)

Impossible hiérarchie en littérature ? 2 Littérature (l'œuvre littéraire) 5


La position sur laquelle je me suis arrêté lors de ma précédente réflexion, fût-elle marquée du sceau de l’intelligence intuitive, est-elle réellement tenable ? Oui, si l’on revient aux œuvres susnommées, mais qu’en serait-il, en somme, si je mettais en regard des œuvres que moi-même, durant longtemps, je jugeais soit mineures, soit majeures, fussent-elles toutes le fruit d’écrivains, non de littérateurs (encore moins d’écrivants post-modernes), dussent-elles toutes m’agréer infiniment… ?


Aujourd’hui, n’émettrais-je plus du tout de jugement de valeur entre, par exemple, les Mémoires de l’ombre de Marcel Béalu et Les carnets du sous-sol de Dostoïevski ? entre Les Derniers contes de Canterbury de Jean Ray et Le Livre de l’Intranquillité de Fernando Pessoa ? Sortilèges de Michel de Ghelderode et Nouvelles histoires extraordinaires d'Edgar Allan Poe? En avant calme et droit de François Nourrissier et La Mort à Venise de Thomas Mann ? Ça de Stephen King et Guerre et Paix de Tolstoï ? L’autre côté d’Alfred Kubin et Le petit saint de Georges Simenon ? La Maison au bord du monde William Hope Hodgson et La Rabouilleuse de Balzac ? L'Araigne d'Henri Troyat et Adolphe de Benjamin Constant? La nuit remue d'Henri Michaux et Salammbô de Flaubert? Solaris de Stanislas Lem et La Métamorphose de Kafka? Les vestiges du jour de Kazuo Ishiguro et L’affaire Charles Dexter Ward de Lovecraft? Le Mépris de la vie et Consolation contre la mort de Jean-Baptiste Chassignet et Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde ? Les Horreurs de l'amour de Jean Dutourd et Vie et Destin de Vassili Grossman?


Tous ces livres que j’ai lus pour la plupart plusieurs fois, sans conteste, présentent des différences d’intensité et de profondeur, et cependant… chaque lecture ne m’a-t-elle pas apporté la même joie quand l’heure était venue de la lecture, ou de la relecture, indépendamment de leur fluide animique intrinsèque, parce qu’au final elles possèdent toutes, selon le tempérament de chacun des écrivains cités ci-dessus, ce noyau central en perpétuelle fusion qui fait l’essence de l’œuvre littéraire — et qui ne peut manquer de jaillir au visage des lecteurs auxquels elles sont destinées… ?


Ainsi, je ne reviendrai pas sur ma conclusion : à partir du moment où ces textes vous donnent un même immense plaisir lors d’une lecture ou relecture, à quoi bon ensuite analyser, avec son intellect et non plus l’enthousiasme (la joie inspirée par le divin), les multiples raisons par quoi telle œuvre est plus ambitieuse, ample ou puissante qu’une autre ? Telle impulsion créatrice en vaut telle autre, relativement aux lecteurs qui feront de ces authentiques créateurs — grâce soit rendue à leur diversité — leurs auteurs de prédilection. Dieu sait pourtant que je vomis le relativisme culturel ou l’égalitarisme de la gauche folle, mais, là, nous sommes aux antipodes des doctrines stupides, ou des grégarismes méprisables, de cette basse époque ; il s’agit ici de sonder les tréfonds de la création littéraire, et de pressentir, fût-ce laborieusement (car la matière est infiniment subtile sinon subjective), que la valeur d’une œuvre ne saurait s’établir banalement sur de simples critères intellectuels, quantitatifs ou qualitatifs, afin de lui donner telle ou telle place dans une hasardeuse et, pour le moins, souvent partiale, hiérarchie. Ne jamais faire l’omission du mystère de la lecture en soi dans tout cela — de la rencontre d’esprit à esprit entre un auteur qui a gorgé de vie intérieure son texte et un lecteur qui n’est pas moins gorgé de cette vie, n’en doutons pas.


En conséquence, pourquoi contredirais-je un tel qui affirmerait que L’Étrange Histoire de Peter Schlemihl l’homme qui a vendu son ombre de Adelbert von Chamisso est le plus beau livre du monde ? un tel pour qui ce serait Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas ? un tel le Faust de Goethe? et celui-ci Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire ? ou celui-là Ondine de Friedrich de La Motte-Fouqué ? tel autre Le Rêve dans le pavillon rouge de Cao Xueqin ? ou tel autre encore le Journal intime d’Henri-Frédéric Amiel… ? Quand on n’a plus vingt ou trente ans, et les vaines certitudes qui vont avec ces âges éphémères, on peut aisément entendre de telles affirmations qui, à défaut de représenter une vérité absolue (il n’est pas de vérité absolue en ce domaine, allez), n’en peuvent pas moins prétendre à représenter l’une des innombrables facettes de ce diamant aux réfractions infinies qu’est la littérature intemporelle.


(28 octobre 2024)


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