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Georges Simenon : monsieur Tout-le-monde en ville, génie universel devant la page blanche 2

  • christophe lartas
  • 21 juin
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 22 juin

Littérature (Georges Simenon) 11 Georges Simenon : monsieur Tout-le-monde en ville, génie universel devant la page blanche 2


Le locataire, roman, 1934
Le locataire, roman, 1934

Georges Simenon : monsieur Tout-le-monde en ville, génie universel devant la page blanche 2 Littérature (Georges Simenon) 11



Parvenu à un âge, ou, disons, à un état d’esprit, où les certes toujours réjouissantes considérations philosophiques ou envolées métaphysiques de mes romanciers de chevet ne m’en imposent plus, me fiant depuis un certain temps seulement à ma propre intuition (cette intuition qui nous relie bien mieux à la profondeur du Soi que toutes les singeries cérébrales de ce bas-monde), il en découle que je ressens avec d’autant plus d’acuité les qualités inégalables de Simenon, écrivain sensitif par excellence, doublé d’une intelligence intuitive de la même excellence.


Si Stendhal disait que « un roman est un miroir qui se promène sur une grande route », nul mieux que Simenon, monsieur Quelconque dans l’existence, créateur génial sur le magique (au sens littéral du terme, j’entends) rectangle de la page blanche, ne l’a promené jusqu’à présent en ce monde. De fait, on pressent que le tout aussi génial Dostoïevski est comme multiplié, diffracté et dramatisé, dans la plupart de ses personnages principaux, quant à ses personnages féminins, ils sont souvent assez peu crédibles et témoignent de sa part d’une certaine projection adolescente sur la femme en la matière ; avec Tolstoï, on s’éloigne de la folle et éternellement juvénile intensité d’un Dostoïevski, flirtant souvent avec la pure hystérie (pure hystérie qui, toutefois, flirte à proportion avec une sublime intuition spirituelle tout aussi pure), pour revenir à un fleuve majestueux où un réalisme parfois quintessencié ou sublimé rejoint plus aisément le courant de l’humanité, et nous rend accessible ce qu’il y a de plus profond (dans toute sa palette de couleurs, de la plus claire à la plus sombre) dans le cœur humain, y compris le cœur féminin (l’observation attentive et minutieuse de sa femme, paraît-il, n’y est pas pour rien).


Quoi qu’il en soit, s’il est lui aussi bien présent dans son œuvre, à l’évidence, il n’en semble pas être le dieu ubiquitaire, et par là même peint de nombreux tableaux véridiques de la société des hommes. Balzac est Balzac, génie baroque, romantique et classique à la fois, possédant le génie à la fois d’un enfant qui serait doué du don de clairvoyance et d’un vieillard qui aurait tout vu, tout su, tout vécu, et serait revenu de tout ; Balzac, comme quasiment tous les écrivains (et ce n’est pas pour raison d’égotisme, juste une loi naturelle de la création littéraire, je pense) est certes souvent présent dans son œuvre, mais, tout de même, en dépit de l’exacerbation qui caractérise souvent ses personnages, on retrouve beaucoup, là aussi, de la substance de l’humanité, et nombre de fulgurances qui approfondissent toujours, à un moment ou à un autre, la psychologie de ses nombreux personnages.


Et quid de Simenon, après ses trois créateurs écrasants de génie, quid ? Quand on a lu ses Mémoires intimes ou ses Dictées, on perçoit inévitablement Georges Simenon comme un vieux monsieur somme toute assez commun, avec sa médiocre autosatisfaction de n’être pas un « raté » comme son père et tant d’autres, et sa puérile vanité en ce qui concerne sa réussite matérielle ou ses conquêtes féminines ; là, pour le coup, il sort peut-être un peu du lot avec une vanité touchant au grandiose car, voyez-vous, monsieur Simenon a eu des centaines de femmes, non, des milliers, ou plutôt dix mille femmes ! Et pourquoi pas cinquante mille ou un million cinq cent mille, après tout… ? Bref, monsieur Georges Simenon, auteur « à succès » mondialement connu et ami des grands de ce monde, qui était très satisfait de sa personne et de « baiser » comme pas un, s’avère être en fin de compte un individu assez quelconque (à l’égal de son visage qui semble refléter assez une personnalité peu saillante), et, en tout les cas, s’avère un personnage sans commune mesure avec les trois grands illuminés susmentionnés ; dès lors, il semble miraculeux que ce monsieur si satisfait de lui-même, qui semble si bien dans sa peau et au sein de la haute société, ait pu engendrer la moindre œuvre littéraire – et qui plus est, une œuvre littéraire à nulle autre pareille.


(15 novembre 2024)

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